Captain Marvel, 2019, Anna Boden & Ryan Fleck
Pitch
Années 1990. Carol Danvers, amnésique et combattante
ultra bad-ass, se retrouve au centre d'une guerre entre deux peuples extraterrestres et devient Captain Marvel, la super-héroïne ultime.
Les codes du genre
Les films de super-héros ont leurs codes, usés jusqu’à
la corde. Ils en ont fait recette. Et quelles recettes, ils sont dans les licences
les plus rentables depuis 10 ans. Il en sort 5 par an, des bons, des très bons,
des médiocres, des honteux. On les met dans le même sac, comme si le fait qu’ils étaient tous issus d’un même genre les renvoyait à des qualités et des défauts
similaires. Comme si un film d’angoisse à deux francs était de la même trempe que Shining, The Ring ou Alien.
Certes, les films de super-héros – et les
Marvel au premier chef – sont caricaturaux. Les ficelles scénaristiques se ressemblent
toutes, on pourrait en faire une théorie exhaustive en deux paragraphes : le
protagoniste de départ doit être forcément unique en son genre, doté de
pouvoirs surhumains, son antagoniste doit être toujours fort méchant et vouloir
détruire [biffer les mentions inutiles] 1)
la galaxie 2) la race humaine 3) la rédaction de Médiapart, il faut toujours surligner
les passages obligés de la trahison et de la rédemption du perso principal; proposer
des péripéties, des explosions et des courses-poursuites sous amphétamines; et
finalement, toujours conclure sur un processus de dépassement de soi pour
passer du statut de personnage principal à celui de super-héros, avec une
montée en puissance qui puise sa source dans une histoire personnelle
compliquée et une volonté indestructible.
Captain Marvel n’échappe pas à ces codes, il met
même un zèle évident à remplir son cahier des charges avec une précision quasi-mathématique,
inscrivant son personnage (littéralement) tombé du ciel dans l’univers des
films Marvel, saupoudrant le film de références aux films précédents, balançant
des vannes efficaces mais jamais trop risquées, créant une complicité avec son
audience parfois de manière un peu artificielle.
C’est un fait, les Marvel sont des blockbusters
ultra-codés, qui ne sortent rarement (jamais) des sentiers battus et qui restent,
à l’instar d’un film d’horreur ou d’un road movie, un genre très balisé qui
doit complètement se fondre dans les attentes de son audience et être un produit
de pur divertissement.
Captain Marvel est un pur produit de
divertissement. Et réussi avec ça. Mais pas que.
Amateurs et profanes
Le Marvel Cinematic Universe (MCU) regroupe l’ensemble
des films de la franchise, qui sont désormais au nombre complètement pété de 21.
Alors faut-il avoir vu les 20 précédents pour apprécier celui-ci ? Je ne crois pas. Captain Marvel s’inscrit bien sûr comme
un aboutissement des précédents, construisant sur leurs erreurs, leurs
errances, sublimant les codes mentionnés plus haut qu’ils ont désormais gravés
dans le marbre. Mais l’histoire peut embarquer ici les profanes sans trop de difficultés,
pourvu qu’on ne soit pas trop réticent à s’intéresser (un peu) à des histoires
de guerres intergalactiques avouons-le un peu obtuses, mais qui ne sont que
prétexte pour développer le personnage de Carol Danvers, dévoiler sa
psychologie, son passé, sa force motrice, petit à petit. Les profanes louperont
quelques références (l’œil de Nick Fury, le signal de détresse de Captain
Marvel). Samuel L. Jackson est parfait comme d’hab’ (et rajeuni de vingt ans,
en mode Black don’t crack meets Benjamin Button), les personnages secondaires
sont assez convaincants (surtout la meilleure pote copilote et sa fille), d’autres
un peu quelconques (Jude Law, sans grand intérêt). Le centre de tout, c’est Brie
Larson et la façon dont elle parvient avec tout son talent à incarner ce personnage
démesuré, titanesque.
Sans dévoiler trop l’intrigue et ses
ressorts, on sait que Danvers sera rapidement amenée à revenir sur Terre et à comprendre progressivement qui elle est, d’où elle vient, et donner chair à
son personnage, attendu comme le Messie dans le MCU, car considéré comme le
dernier recours par les autres super-héros qui, pour le dire vite, sont en
train de se faire défoncer par un psychopathe malthusien et seule une force ultime pourra venir leur sauver la mise. En cela, le film est un classique
américain et une application bornée des théories considérant que toutes les œuvres
ne tournent qu’autour d’une question : « Qui suis-je ? ». Évidemment, c’est en comprenant son
passé que Danvers deviendra qui elle est. C’est éculé, mais c’est bien
fait. C’est le comble de l’efficacité.
Poser les bases de cette histoire demande au
film quelques efforts au démarrage (les 30 premières minutes sont un peu laborieuses), avec le besoin de planter un décor, des enjeux, pour enfin se
concentrer uniquement sur le développement de Danvers, au travers de ses bons
mots, de ses pouvoirs en expansion et de sa quête d’identité. Visuellement, ça
claque. J’adhère complètement au style graphique, qui ne fait que répondre strictement à ce qu'on en attend, mais qui ne fait aucune faute de goût. La bande originale et l'atmosphère générale sont calées, là encore sans prendre aucun vrai risque, en infusant le film d’une
ambiance années 90 millimétrée pour plaire à la génération qui l’a vécue, on y
balance du Nirvana, du TLC, des t-shirts Nine Inch Nails et des Windows 95 en
souffrance. On n’atteint pas les niveaux magiques de kitsch de Guardians of the Galaxy et des tubes des
années 70, mais c’est nickel.
Bref, sur la forme, c’est accessible aux
profanes comme aux fans de la première heure. Lumineux, rythmé, ultra-classique,
incarné, ça défonce.
Crises dans le genre
Je m’applique à faire des contorsions
énormes pour garder jusqu’à présent hors de ce texte l’élément-clé du film,
son rapport au féminin dans un univers qui déborde de masculin à tous les
étages. La réponse ne s’est d’ailleurs pas fait attendre, nombre d’internautes
s’en donnent à cœur joie pour faire baisser la note du film en concert sur les
sites de référence, souvent au motif que le film serait fait pour « plaire
aux féministes et aux Social Justice Warriors » qui voudraient aseptiser
tous les produits culturels dans un politiquement correct bon teint.
Ce film est un fuck absolu à tout ça. L’ambition
de Captain Marvel est assumée,
affichée, réfléchie. Créer la première super-héroïne centrale de la franchise. Et sans donner aucun sentiment de forcer ou de s'en justifier.
Sur ce plan, le film est un sans faute.
C’est absolument parfait.
Il me semble que le débat sur la représentation des femmes dans le cinéma est à un
stade de crise. Une crise parce que s’il est difficile, même au dernier des
Pascal Praud, de nier que le sexisme est un enjeu fondamental dans la production audiovisuelle, qui agit en miroir de la société, la
façon d’y répondre est forcément conflictuelle. On ne peut que constater que cette prééminence
d'assignations à résidence sexistes, assumées ou non, survit à tous les débats, et encore récemment, la tentative de mise
en avant de la féminité comme argument marketing contribuant finalement à renforcer
les codes du sexisme (pour le dire vite, les films qui veulent faire du girl
power sans aucune réflexion et utilisent en fait les codes du sexisme à leur profit)
ont démontré la difficulté d’apporter des solutions efficaces à cette question.
Captain Marvel est un modèle du genre, j’irais
jusqu’à dire qu’en matière de blockbuster, c’est le film de référence en la
matière. Il prend comme point de départ l’inclusion d’un personnage féminin fort,
puissant, charismatique. D’autres pourront le lui reprocher, mais il n’est ni
militant ni inutilement dialectique : il considère sa protagoniste comme naturellement
centrale, comme personnage modèle pour les générations futures comme l’ont été
ses prédécesseurs. Il assume une réflexion féministe qui fait de la femme le
sujet de cette normalité. Il construit un standard où la libération du
personnage principal se fait, non pas exclusivement au prisme de sa condition de femme, mais avec elle,
comme une caractéristique qui ne lui apporte ni ne lui enlève rien, qui la
situe simplement par rapport au monde dans lequel elle évolue. Je ne pense pas
avoir vu cela depuis un bail : Danvers n’est jamais sexualisée, jamais
considérée pour son sex-appeal ou sa féminité fantasmée. Elle n’est pas au cœur
d’une romance même si elle est au cœur de relations humaines passionnées. Elle est
considérée comme le seraient les autres Avengers, ni plus, ni moins. Le fait qu'elle soit une femme n’est pas non plus niée ou sous-estimée: en l’occurrence évoluant dans une société où en
tant que femme, elle est considérée comme incapable de maîtrise, sa lutte est
aussi le combat d’une femme contre les contraintes d’un monde masculin. Cette lutte devient un moteur narratif au service de la construction d’une
nouvelle héroïne.
Preuve pour moi de la réussite de l’opération, l’émotion
réelle, viscérale que j’ai ressentie pendant le film, notamment au cours de la scène (là
aussi très conforme à l’imaginaire américain) où le personnage se relève,
encore et encore. Et va tous leur défoncer la gueule.
Danvers est une femme forte, drôle, libre. Elle
est un modèle pour les gosses qui la verront. Elle est une marque puissante de
l’évolution de nos sociétés, et le fait que Marvel pose les bases de ces
standards pour un film, qui je l’espère explosera le box-office, n’est pas
rien.
Est-ce une vision féministe consensuelle ? Peut-être. Elle n’est pas faite pour faire hurler les masculinistes ou s’offusquer Pascal
Praud (je suis obnubilé par ce type). Le film n’en est vraiment plus là. Il est déjà dans une construction plus aboutie, plus englobante, plus avancée quelque part. Car l’on voit mal les arguments que l’on pourrait lui opposer, tant sa considération de la question est subtile, réfléchie, amenée
avec force et naturel. Captain Marvel est un
aboutissement, l’affirmation du féminin sans besoin de s’en justifier. Il est
la normalisation de la place de la femme comme centrale dans l’histoire Marvel.
Et, on pourra en dire ce que l’on voudra, c’est
une promesse qui a de la gueule.
O captain!